Strange Paths
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Message Ache Moderator le 26 Mai 2007 22:58

Un échange sur le thème du corps, de l'affectivité et de la reconstruction.


Le pseudo de l'intervenant est indiqué ainsi en gras.



Message Ache Moderator le 26 Mai 2007 22:58

foutre de
18-04-2007


Je pensais à certaines lectures que j'ai faites naguère de Michel Henry, qui a beaucoup travaillé sur Spinoza, notamment pendant la période de virtuosité conceptuelle qui précède l'écriture de sa thèse.

Ce que ça m'évoque, c'est le vécu que nous avons de notre corps, pas en tant que corps objectif organique, mais en tant que chair éprouvée d'en-dedans, cet enracinement dont je ne peux me distinguer.
M. Henry parle une fois de la main de l'homme ; il dit qu'éprouver la main, ce n'est pas sentir des tendons, des articulations, des muscles : c'est éprouver les mille possibilités de gestes, éprouver, à même elles-mêmes, les puissances de cette main.
Ainsi l'homme est-il avant tout bain dans sa propre puissance, dans la virtualité de ce qu'il peut, potentiel d'acte. Cette potentialité n'est pas un projet, une idéalisation à prouver par sa réalisation, elle est la vie en tant que puissance, elle est l'épreuve effective (vécue hic et nunc) de mes potentialités.

Cette épreuve, que M.Henry rapporte à la nuit mystique de Maître Eckardt, est vertigineuse, elle est Angoisse, car, en tant que pure potentialité ressentie, elle est pente, entraînement à agir dans le risque des possibles : béance abyssale qui précède l'audace de faire.

Quand Rimbaud dit : "Des faibles se mettraient à penser sur la première lettre de l'alphabet, qui pourraient vite ruer dans la folie ! ", je crois qu'on peut le rapporter tout autant à la plus parcellaire appréhension d'une sensation corporelle : Notre main peut nous être expérience d'un abyme, il suffit de s'y attarder, d'une immensité de puissance.

Il y a là je crois des éléments d'approche de la substance en tant que puissance ne voulant pas son effectuation ("dans le monde, dans l'horizon de l'être...), car épreuve de la puissance en tant que telle, ne revoulant rien d'autre que cette potentialité propre qu'elle est en elle-même, volonté de volonté (en quelque sorte, si vous me permettez de confirmer ainsi la lecture que M.Henry fait de Nietzsche, mais à partir de descriptions Heideggeriennes).

[Cela renvoie à une] discussion sur la chair [..].



Message Ache Moderator le 26 Mai 2007 23:00

Ache
18-04-2007


foutre de a écrit:
Ce que ça m'évoque, c'est le vécu que nous avons de notre corps, pas en tant que corps objectif organique, mais en tant que chair éprouvée d'en-dedans, cet enracinement dont je ne peux me distinguer.
M. Henry parle une fois de la main de l'homme ; il dit qu'éprouver la main, ce n'est pas sentir des tendons, des articulations, des muscles : c'est éprouver les mille possibilités de gestes, éprouver, à même elles-mêmes, les puissances de cette main.
Ainsi l'homme est-il avant tout bain dans sa propre puissance, dans la virtualité de ce qu'il peut, potentiel d'acte. Cette potentialité n'est pas un projet, une idéalisation à prouver par sa réalisation, elle est la vie en tant que puissance, elle est l'épreuve effective (vécue hic et nunc) de mes potentialités.
[..]
Cette épreuve, que M.Henry rapporte à la nuit mystique de Maître Eckardt, est vertigineuse, elle est Angoisse, car, en tant que pure potentialité ressentie, elle est pente, entraînement à agir dans le risque des possibles : béance abyssale qui précède l'audace de faire.


Oui. Souvent je considère que les énoncés de la phénoménologie matérielle à propos du corps sont une collection de truismes profonds. C'est vraiment cela, avoir une main.. Toutefois, je m'interroge sur que faire de ces descriptions. 'Que faire', au sens quasi ingéniérique, c'est à dire, que dit ce dire de la structure de l'affectivité qu'il prétend décrire. Comment re-saisir les structures de l'affectivité, intégralement (d'où le quasi ingéniérique). Si la réponse est que précisément cette interrogation veut rapatrier 'l'en-dedans nocturne dans l'extériorité et l'horizon du monde', et que donc l'affectivité (le pathos) serait ainsi niés et contredits, alors il y a un sérieux problème (qui est une angoisse).



Message Ache Moderator le 26 Mai 2007 23:02

baptiste R
18-04-2007


foutre de a écrit:
M. Henry parle une fois de la main de l'homme ; il dit qu'éprouver la main, ce n'est pas sentir des tendons, des articulations, des muscles : c'est éprouver les mille possibilités de gestes, éprouver, à même elles-mêmes, les puissances de cette main.


Mais entre les différentes manières de dire la main et plus généralement le corps, entre cette manière-ci et cette manière-là, n'y a-t-il pas une fausse opposition ? Muscles et tendons sont faits pour la motricité, ils sont la motricité. Par conséquent, un anatomiste sensible et intelligent qui les décrirait ne dit-il pas la main qui fond sur l'objet, se retire, brasse, sinue et s'arc-boute, ne dit-il pas tout cela aussi bien qu'un autre ? Ou plutôt, parce qu'il ne s'agit pas de concurrence, ne dit-il pas au fond la même chose ?



Message Ache Moderator le 26 Mai 2007 23:06

foutre de
18-04-2007


baptiste R a écrit:
Mais entre les différentes manières de dire la main et plus généralement le corps, entre cette manière-ci et cette manière-là, n'y a-t-il pas une fausse opposition ? Muscles et tendons sont faits pour la motricité, ils sont la motricité. Par conséquent, un anatomiste sensible et intelligent qui les décrirait ne dit-il pas la main qui fond sur l'objet, se retire, brasse, sinue et s'arc-boute, ne dit-il pas tout cela aussi bien qu'un autre ? Ou plutôt, parce qu'il ne s'agit pas de concurrence, ne dit-il pas au fond la même chose ?


C'est amusant que tu sois allé chercher une main dessinée par Hogarth (Burne, de son prénom - oui, ça existe...), qui est justement un grand représentant de l'académisme anatomique en dessin, il n'y a donc en effet aucune opposition (voir, Le dessin anatomique, Taschen) ni avec l'anatomie médicale ni avec da Vinci : Hogarth origine son art chez Vésale.
Quitte à opposer des mains graphiques, mieux aurait valu proposer celles-là qui viennent de la préhistoire ou, plus délicates, celle-là, voire celle-là. L'opposition aurait été plus fondée et plus concrète (et puis Henry a écrit un livre sur Kandinsky, ce qui n'est pas négligeable).

Il y a bien à distinguer la main mesurée, décrite, verbalisée, et la main vécue, agie, éprouvée, expérimentée, animée. Il ne s'agirait pas de concurrence en effet (parce qu'il ne s'agit pas de la même chose, mais bien de domaines hétérogènes du savoir, fondés sur des épistémè différentes), si une des deux approches ne régnait pas de façon délétère et dictatoriale sur la vie humaine en Europe, sur la législation et la compréhension de l'homme depuis le 17ème.
(pas arrondissement, siècle)
Et c'est vrai, la médecine est certainement la science la plus proche de cette praxis, en ce qu'il lui incombe de transformer des mesures en chemin vers la santé

Enfin, tout ça, c'est depuis Husserl qu'on nous l'impose... Qu'en est-il de cette "crise" ? N'est-elle pas le reste d'un fantasme de la fin du 19ème (porte de pantin, au-delà des buttes-Chaumont), sur la décadence, la mortalité des civilisations, spengler-bourget-nietzsche... + l'anti-scientisme heideggerien... ?
Demandons-le nous...

(car Henry a baigné là dedans comme sa main dans un gant...)



Message Ache Moderator le 26 Mai 2007 23:12

foutre de
19-04-2007


Ache a écrit:
Oui. Souvent je considère que les énoncés de la phénoménologie matérielle à propos du corps sont une collection de truismes profonds. [...] Toutefois, je m'interroge sur que faire de ces descriptions. [...] que dit ce dire de la structure de l'affectivité qu'il prétend décrire. [...]. Si la réponse est que précisément cette interrogation veut rapatrier 'l'en-dedans nocturne dans l'extériorité et l'horizon du monde', et que donc l'affectivité (le pathos) serait ainsi niés et contredits, alors il y a un sérieux problème [...].
baptiste R a écrit:
Mais entre les différentes manières de dire la main et plus généralement le corps, entre cette manière-ci et cette manière-là, n'y a-t-il pas une fausse opposition ? Muscles et tendons sont faits pour la motricité, ils sont la motricité. Par conséquent, un anatomiste sensible et intelligent qui les décrirait ne dit-il pas la main qui fond sur l'objet, se retire, brasse, sinue et s'arc-boute, ne dit-il pas tout cela aussi bien qu'un autre ? Ou plutôt, parce qu'il ne s'agit pas de concurrence, ne dit-il pas au fond la même chose ?


Devant le silence qui règne, je relis jusqu'à l'hypnose vos messages. Je vois bien que ce qu'il en ressort, c'est un problème de langage, d'écriture, avant toute autre problématique.
On sait que Henry ne problématise pas le langage, qui reste un outil quelconque (c'est sa façon à lui de dénier les aspects du structuralisme envahissant de son époque)
Je ne peux accréditer que l'anatomiste dise la même chose : la cartographie n'est pas la dérive dans le paysage ; quand on regarde une carte (anatomique ou autre), on oublie souvent que seul l'arpenteur s'est promené (et celui qui dissèque, ne s'est pas auto-disséqué, et n'a donc pas référé son voyage à un vécu esthésiologique - Vésale quand même a bien profité des condamnés à mort ; et ça marche encore comme ça aujourd'hui pour l'imagerie médicale).

On se souvient peur-être de cette parabole :
Un homme demande à un sage combien de temps il lui faudra pour rejoindre telle ville. Le sage lui répond : "marche". L'autre s'agace, repose sa question, reçoit la même réponse. il finit par s'éloigner. le sage alors lui dit de loin : "cinq heures et demi !".
Il ne voulait que voir à quelle allure marchait l'homme pour pouvoir lui donner un réponse adaptée.
(fin de la parabole)

Ceci pour nous remettre en mémoire qu'à une époque on ne mesurait pas les distances en m (USI) mais en lieue, unité de mesure très susceptible de variations qui tenait compte des difficultés du chemin.

J'essaie de ne pas faire de l'europanalyse une asiathéorie [..] qui aurait réponse à tout, mais pour bien des questions soulevés par les prédécesseurs, il faut bien avouer que les successeurs ont déjà proposé des débuts de réponses.

Valdinoci évoque parfois le problème de la transformation du monde en portulan par Mercator (encore en période de copernicisation du monde), de son écrasement dans la représentation scientifique (mesurée soit, sur des normes communes soit, permettant mathématiquement des prévisions d'évènements soit -et encore, les théories du chaos ont bien mis à mal les modélisations classiques à causalités linéaires), écrasement du monde, dis-je, dans la représentation scientifique la plus... "plate" (of course).

Il s'agit bien d'un problème de représentation, cette pensée par représentation que Deleuze s'évertue à mettre à mal. Et de représentation par le langage en particulier.

La difficulté de lecture dont j'ai parlée déjà à propos de l'europanalyse, tient en l'occurrence à la tentative d'un nouvel usage du langage.
Disons que depuis les théories du langage d'après Hegel, depuis la représentation comme prise de distance, dire c'est toujours être à distance : et c'est la question que vous posez à M. Henry : "à quoi bon ?" puisque ça "revient au même".

Valdinoci propose, comme spécificité de la pensée mystique sur la pensée philosophique, de ne plus penser (ni écrire) par concept (ou plutôt par souci conceptuel). Déjà, chez Heidegger, autour de la poésie, on sent ce glissement vers un autre usage de la langue.

Valdinoci propose lui de s'éloigner de toute conceptualisation, qui maintient le partes extra partes, la différ(a)nce (pour en évoquer un autre qui l'a bien défoncé aussi au côté de Deleuze, le langage de l'épistémè post-hégélienne), pour travailler une écriture qu'il nomme "endo-ceptive". autant dire une écriture qui maintienne une immanence constante (un en-dedans) du discours à l'objet, bref un usage du langage qui implique du lecteur une immersion dans l'expérience décrite.

C'est pourquoi, peut-être, doit-on ne jamais écarter lisant M. Henry la dimension d'Appel qui règne dans son écriture : appel à la praxis.
Pour moi c'est cela qui ne revient pas au même : ces écritures phénoménologiques maintiennent une immersion dans les "choses-mêmes", ce que Fançois Laruelle appelle un « cercle d'affection réciproque, de mise à l'épreuve du discours par son objet, de l'objet par son discours » dans Nietzsche contre Heidegger.

C'est pourquoi il y a une probité, peut-être moins éclatante que celle de Vésale lorsqu'il publie son magnifique ouvrage, chez ces auteurs, qui est celle de se faire le propre cobaye de ses descriptions, d'y être pris, de ne pas faire subir la fouille à un cadavre profané de condamné à mort (n'oublions pas qu'on n'enterrait pas n'importe qui en terres chrétiennes à l'époque, à commencer par les acteurs (le cas Molière par exemple)).
C'est peut-être une dimension éthique du langage, un autre ethos qui distingue Henry de l'anatomiste, qui fait qu'un progrès indéniable des représentations n'est pas nécessairement un progrès existentiel (tial?), qui fait que les tendons ne sont pas la motricité parce que les organes ne sont pas le corps.

Je sais que ce n'est pas nécessairement plus clair, et ramener un auteur dont vous n'avez pas lu les recherches n'avance certainement pas les choses.
Disons que dire implique une normalisation verbale de la représentation du réel. Le dire de Henry ne me semble pas impliquer une normalisation (une culture) qui a la même valeur que la normalisation (la culture) sur base de mathesis universalis parce que cette culture qui fait de tout un objet a fait de l'homme européen un homme bien étrange ces derniers siècles, qui croit peut-être ne plus être de monde tant il prétend le dominer (la problématique écologique pourrait bien se jouer ici aussi).



Message Ache Moderator le 26 Mai 2007 23:16

Ache
20-04-2007


foutre de a écrit:
Devant le silence qui règne,

C'est un silence positif. Et je salue les rares fréquenteurs de 'l'affectivité' et al. qui soient prêts à échanger quelque peu.

foutre de a écrit:
[..] et c'est la question que vous posez à M. Henry : "à quoi bon ?" puisque ça "revient au même".

La question n'est pas à quoi bon, car il y a du bon. La question est comment arriver à l'identité entre le dire de l'immanence et la structure de l'affectivité. Sans détour : l'exigence de cette identité, c'est pour moi une manière déguisée de parler du 'problème corps-esprit'. C'est un fait qui ne cessera jamais de m'étonner, et qui est l'inconséquence -autre que fantasmatique- au sujet de cette problématique quand elle est annoncée scientifiquement, au sens de 'est scientifique ce qui est reconstructible'. Or, l'affectivité, l'immanence, etc. etc., ce sont des mots qui réfèrent à un certain corpus de recherche, et cette recherche, c'est 'qu'est-ce que l'affectivité', et donc, 'comment dois-je m'y prendre pour faire qu'un corps soit une affectivité'. Je ne vois pas, si ce n'est par paresse, pourquoi on ne traduirait pas ainsi le souci de l'immanence, car donner l'affectivité c'est comprendre l'affectivité. [et il est remarquable de noter les degrés de liberté du langage phénoménologique]

Maintenant, le mérite du discours phénoménologique est de dire que ce problème est un problème méthodologique. C'est à dire, que sa résorption sera toujours à faire soi-même, et que le chemin vers soi est un chemin par soi. Mais si on se borne à dire la chose ainsi, on ressemblera étrangement à de l'asianthéorie, ce qu'on ne peut admettre. Il nous faut donc une manière pour rappeler que le chemin vers soi par soi n'est pas une métaphore, mais tout ce qu'il y a de plus littéral, c'est à dire, c'est si 'endoceptif' qu'en réalité cela devient une reconstruction. Or une reconstruction, c'est physique, d'où : quelle est la structure de l'affectivité.

Enfin, si la problématique essentielle est une problématique de la méthode, alors il ne faut pas exclure qu'une théorie du corps, c'est identiquement une théorie de l'art, et que le progrès existentiel se tire par un geste esthétique, et que le geste esthétique 'à la chose-même', c'est faire le corps.

foutre de a écrit:
[..] propose [..], de ne plus penser (ni écrire) par concept (ou plutôt par souci conceptuel).

Je propose de ne plus écrire du tout. Car il est permis d'espérer à plus littéral que le langage. :-)



Message Ache Moderator le 26 Mai 2007 23:25

foutre de
21-04-2007


Alors j'en viens au gros morceau:

Ache a écrit:
La question est comment arriver à l'identité entre le dire de l'immanence et la structure de l'affectivité.


[..] J'ai du mal avec cette idée que le langage doive être identique à la structure. Mais je crois que c'est un problème de formulation plus qu'autre chose. Car si le signifié est charnel et si la chair est affect et si le signifiant ne peut être distant du signifié alors le langage... CQFD. Il y donc une identité à priori (mais vraiment ce n'est pas le vocabulaire que j'emploierais).

Plus précisément, la scripturalité qui incise dans la chair pour lui faire pense-bête d'une culture (scarification, Kafka de la colonie pénitentiaire etc. peuple de caïn) et y laisse des signes écrits, ou les rythmes percutés de vocalisation lancés d'un homme à l'autre dans l'air vibrant, ne sont vraiment que des repères de mémoire (Voir Nietzsche qui explique quelle cruauté il faut pour créer une mémoire à l'homme ; texte courant dans les anthologies pour le bac, j'ai rien sous la main, scusez). Notre chair creusée d'écriture a pour ça bien du mal à oublier (rôle de l'oubli chez Nietzsche pour la création justement) : nous sommes tous des tatoués nous donnant à lire nos peaux respectives (et quelques marques plus profondes pour les intimes) ; jouant parfois à qui en a le plus ou à qui à les plus profondes (on se croirait dans l'Arme fatale III et la scène d'érotisme timide autour des cicatrices).

Puisque c'est un pense-bête, la garantie de l'identité, c'est la capacité à tenir une promesse, bref à maintenir dans la praxis ce qui a été énoncé dans le discours.

Ache a écrit:
Sans détour : l'exigence de cette identité, c'est pour moi une manière déguisée de parler du 'problème corps-esprit'.


Oui, c'est tout pareil pour moi : Mon corps-Sens (sens du monde), mon corps-forme du savoir, mon corps-univers que je parcours et complète (ou qui s'auto-contemple le faisant).

Ache a écrit:
C'est un fait qui ne cessera jamais de m'étonner, et qui est l'inconséquence -autre que fantasmatique- au sujet de cette problématique quand elle est annoncée scientifiquement, au sens de 'est scientifique ce qui est reconstructible'.


Là je nage, parce que je ne vois pas l'épistémologie du reconstructible dans mon fonds de boutique. Je n'ai qu'un vieux Popper qui dit que ça doit pouvoir être refait par un autre scientifique dans des conditions similaires (du coup tout le domaine de l'in silico etc., je te regarde comme couvert de tatouages bien indéchiffrables).

Ache a écrit:
Or, l'affectivité, l'immanence, etc. etc., ce sont des mots qui réfèrent à un certain corpus de recherche, et cette recherche, c'est 'qu'est-ce que l'affectivité', et donc, 'comment dois-je m'y prendre pour faire qu'un corps soit une affectivité'. Je ne vois pas, si ce n'est par paresse, pourquoi on ne traduirait pas ainsi le souci de l'immanence, car donner l'affectivité c'est comprendre l'affectivité. [et il est remarquable de noter les degrés de liberté du langage phénoménologique]


Là encore, la formulation ne me convient qu'à moitié car c'est comme si les perspectives étaient brouillées par rapport à l'approche que j'en ai.
Pour moi, la question "qu'est-ce que l'affectivité ?" ne se pose pas, c'est justement le discours descriptif en terme d'affect (ce qu'on retrouve en soi facilement comme épreuve commune, selon des variations intensives et probablement qualitatives mais qui ne brouillent cependant pas l'intercompréhension parce que la marge infinie de spécificité y est déjà co-appartenante (ex: ton angoisse ne saurait être la mienne, mais il y a une consonance empathique aisée, que l''amitié philosophique explore déjà comme sympathie fondant le vivre ensemble depuis les antiques)), c'est justement le discours descriptif en terme d'affect, dis-je, qui permet d'éclairer une autre question : comment penser-écrire hors transcendance (c'est-à-dire en immanence, après la mort de dieu dirait Nietzsche, loin des modélisations objectivantes dirait Henry, etc.).

Je n'ai donc pas à me demander comment m'y prendre pour que mon corps soit une affectivité. Il l'est et c'est tout ce qui me reste à l'endroit où l'historial de ma civilisation m'a porté moi et la chair que je partage avec ma communauté. C'est l'histoire de l'Occident (qui nous arrive sous forme d'histoire philosophique : notre éducation, notre culture à exercer comme on pourra) : comment penser parler agir pratiquer en immanence plutôt que sous les ombrages d'une transcendance ? (tradition quelconque etc.... en ce sens c'est déjà le problème de Socrate : comment penser un problème, se mettre en accord, sans partir d'un savoir préalable apporté par un des membres, comment repartir constamment à zéro en se disant que décidément on ne sait rien et que ce non savoir est une position éthique de base pour le dialogue) ; comment continuer à vivre quand ce que mes prédécesseurs historiques m'ont laissé, c'est le vide d'une liberté infinie dans la signification ? (plus désormais amarrée à Dieu), alors que la signification est fondement de la collectivité vécue sans errance folle, sans pathologie) ; et ensuite comment ressaisir depuis ce vide abyssal le sens où diriger de nouveau la communauté pour son époque suivante, c'est-à-dire comment ressaisir les sciences pour qu'elles ne dérivent plus cette liberté vide vers une stabilisation sécuritaire qui effondre la civilisation en croyant l'assurer ? (le paradoxe des nazismes, fascismes etc.).

Ache a écrit:
Maintenant, le mérite du discours phénoménologique est de dire que ce problème est un problème méthodologique. C'est à dire, que sa résorption sera toujours à faire soi-même, et que le chemin vers soi est un chemin par soi. Mais si on se borne à dire la chose ainsi, on ressemblera étrangement à de l'asianthéorie, ce qu'on ne peut admettre. Il nous faut donc une manière pour rappeler que le chemin vers soi par soi n'est pas une métaphore, mais tout ce qu'il y a de plus littéral, c'est à dire, c'est si 'endoceptif' qu'en réalité cela devient une reconstruction. Or une reconstruction, c'est physique, d'où : quelle est la structure de l'affectivité.


On retombe de nouveau sur mes limites. je suis très impressionné par le travail que j'ai découvert là sous les liens. Ça me remplit d'allégresse de voir que ça bosse autant. Cependant comme la "reconstruction" m'échappe, je ne vois pas comment ça permet d'éviter la dérive asiathéorique (en revanche c'est intéressant de voir comment une pure métaphore d'oeuvre peut fonctionner comme repère dans une discussion [..]).
Et donc le syllogisme (or une reconstruction c'est physique) m'est une étrangeté vague.

Ache a écrit:
Enfin, si la problématique essentielle est une problématique de la méthode, alors il ne faut pas exclure qu'une théorie du corps, c'est identiquement une théorie de l'art, et que le progrès existentiel se tire par un geste esthétique, et que le geste esthétique 'à la chose-même', c'est faire le corps.


Là je retombe sur mes pieds théoriques. Bon je l'ai déjà dit, dans la mesure où une esthétique qui vise autre chose que la disposition d'oeuvres dans des musées implique de repenser l'ensemble d'un habiter (d'un vivre), l'europanalyse se veut une théorie de l'invention, dont elle explore la méthode, qui est zigzag (pas forcément la chose la plus parlante d'ailleurs).

Et bien sûr il s'agit de se faire un corps. Mais dans la mesure où le corps ne se distingue pas du monde de ma compréhension partagée (mon lebenswelt), ce qui est à faire quand on se fait un corps, c'est une civilisation.

D'où l'importance de la méthode de sortie de la culture : on ne peut inventer sans arracher son corps à ce qu'il est déjà, c'est à dire arracher un geste de civilisation à la culture telle qu'elle est déjà transmise, déjà faite.

C'est le saut dans l'inconnu de la pratique : faire l'homme à même soi (je ne serai d'ailleurs jamais que le seul homme que je connaitrai pour l'avoir vécu intimement ; je serai donc la seule effectuation de l'humanité à mes propres yeux ; mon jugement et mes promesses me feront le seul homme qui aura été pour moi : gare aux déçus...). Inventer dans la nuit aveugle, laisser la nuit du devenir vertigineux s'emparer de mes chairs, oser la sape de ce qui m'est appui dans la culture, pour inventer ce qu'elle sera dans la suite de ce qu'ont ouvert de possibilité les prédécesseurs.

C'est un stade ultime : nous commençons par nous faire une conscience, puis des habitudes (un mode de vie individuel), puis une culture (un mode de vie collectif), puis un génome (une espèce vivante). Ce sont comme les différentes vitesses dont l'humain est capable (mais à la dernière échelle en est-ce encore? N'est-ce pas déjà plus qu'une audace de la vie se perpétuant?) ; du plus vite et superficiel, au plus lent et plus profond.
C'est pourquoi nos représentations ne doivent pas nous arrêter mais nous conduire au contraire vers des gestes qui seront bientôt des moeurs pour s'ancrer plus dans l'orientation risquée d'un demain pour l'humain.

Je ne sais pas si c'est cela, la "reconstruction", je ne crois pas ; je parlerai plutôt de constructivisme façon Deleuze et Spinoza ; Daumal parle de ça dans un texte sur l'étudiant en philosophie : "Très vite, ayant trouvé le secret central, l'attitude simple et définie qui caractérise un Sipnoza, il saura prévoir, avant d'avoir lu, ce que Spinoza pensera de tel ou tel problème". Les limites du langage philosophique, in Les pouvoirs de la paroles.

Comme une étincelle qui se transmet et fait fonctionner Spinoza vivant au-delà du texte, dans des possibles qui sommeillent nuitamment entre les énoncés, un non-dit actif en nous qui continue à oeuvrer quand le livre est refermé).

Voilà je crois un bel et épuisant exercice de métaphysique. Mais tendu vers autre chose que l'origine, faisant fonctionner la source plutôt que cherchant à la ressaisir pour la prouver.

Ache a écrit:
Je propose de ne plus écrire du tout. Car il est permis d'espérer à plus littéral que le langage. :-)

Plus littéral que la lettre... c'est intéressant je vais aller y voir. En tout cas si la pratique prime sur le dire, que se taisent en effet tous ceux dont la pratique ne sera pas parole ou écriture (hihi).



Message Ache Moderator le 26 Mai 2007 23:32

Ache
28-04-2007


foutre de a écrit:
Alors j'en viens au gros morceau [..]

Je suis en accord sur ce que tu observes concernant 'le cahier des charges d'une vie', notamment les rapports corps-culture-inscription, et en fait l'incarnation. Si j'ai glissé l'épistémologie dans le cahier des charges, c'est parce qu'elle est nécessaire pour continuer ce travail, jusqu'à ce que corps se fasse.

foutre de a écrit:
J'ai du mal avec cette idée que le langage doive être identique à la structure. mais je crois que c'est un problème de formulation plus qu'autre chose.

Oui, il y a une thématique langage/structure ou langage/forme. Cette thématique importe pour la sphère phénoménologique, d'une part pour situer le dire phénoménologique, et d'autre part pour connaître les limites d'une écriture en langage naturel.

C'est un premier point sur lequel peut intervenir l'épistémologie (c'est à dire avec les sciences dedans). En quelques mots : l'idéal épistémologique de l'accomplissement du langage est la coïncidence entre le langage et la forme. Le langage réussit lorsqu'il est capable de faire revenir la forme, et notamment, lorsque langage et forme peuvent s'identifier sur commande. Le langage est langage parce que dans un domaine d'implémentation particulier il peut instancier une forme quelconque.

Est-ce qu'il y a opposition entre le langage épistémologique et le langage phénoménologique tel que tu l'as décrit, p.e. l'endoception et l'intropathie ? Ici commence le travail. Autrement dit le raccord est exigible, mais la forme exacte du raccord reste à construire, et la capacité du langage à réussir le raccord n'est pas donnée. Cela signifie qu'il faut imaginer Wittgenstein lire Merleau-Ponty : comprendre une proposition phénoménologique, c'est savoir ce qui advient si elle est vraie. Il n'est pas nécessaire de savoir si elle est vraie ou fausse, car à la limite, ce n'est pas la question. La question est : qu'advient-t-il si elle vraie (c'est une 'promesse'). Or qu'avons-nous pour savoir ce qui advient et ce qui tient sa promesse ? Nous avons l'expérience. Ici, on peut déjà dire qu'un raccord au moins nominal est en route, car il y a l'expérience suivant les sciences, et il y a l'expérience suivant la phénoménologie de la vie, c'est à dire 'l'ipséité'. C'est sur point qu'intervient la 'reconstruction'.

foutre de a écrit:
Là je nage, parce que je ne vois pas l'épistémologie du reconstructible dans mon fonds de boutique. Je n'ai qu'un vieux popper qui dit que ça doit pouvoir être refait par un autre scientifique dans des conditions similaires (du coup tout le domaine de l'in silico etc., je te regarde comme couvert de tatouages bien indéchiffrables)

Reconstruire signifie comprendre. En fait comprendre signifie reconstruire. Si je veux comprendre comment un avion vole, je dois reconstruire l'avion. Il faut alors noter que pour satisfaire mon projet, c'est à dire savoir comment l'avion vole, il ne sera pas nécessaire que je parle par ex. de comment les tanneurs produisent le cuir des sièges. En revanche, la forme 'voler' pour un avion fera 'revenir' quelques éléments de mécanique des fluides, et alors je commencerai à identifier la 'forme du vol'. On peut d'abord faire cela en l'imaginant, mais quand on imagine, il se peut que je suppose des choses 'qui ne sont que dans mon imagination', ou à l'inverse, je peux échouer car elles n'y sont pas. Donc on doit continuer sur le terrain, par ex. dans un hangar et/ou avec des calculs. Et ainsi de suite et le parcours devient 'ingénieur'.

Donc, reconstruire a un sens presque évident. C'est une heuristique de bricoleur. La reconstruction est synonyme d'élucidation. Si on dit reconstruire l'âme, on dit 'comment dois-je m'y prendre pour créer une âme'. Et donc, sur le terrain. Or quel est le terrain de l'âme ? Il est la vie, le corps, les autres, le milieu, etc. Ici, je suis tenté de traduire tout cela en nommant des disciplines comme la vie artificielle, l'intelligence artificielle et les sciences cognitives, lesquelles ont la reconstruction pour objectif, car c'est cela la reconstruction, et c'est cela la littéralité. Mais, en nommant ces domaines, on pourrait aboutir à des malentendus : d'abord parce que la discipline reconstructrice n'existe pas encore, et donc le champ imaginaire que provoquent les disciplines nommées dépendra du parcours de chacun et de la confiance ou pas qu'on leur prête (autrement dit c'est une polémique) ; et ensuite, la reconstruction d'un corps n'exclut pas l'intervention d'un genre supplémentaire de travail, c'est à dire le geste artistique.

Résumé : il faut faire le corps (phénoménologie) ; on le dit suivant une scripturalité endoceptive (le dire phénoménologique) ; pour faire le corps, il est nécessaire de reconstruire le corps (épistémologie) ; le dire phénoménologique n'est pas sur le mode du sujet-objet, tandis que le discours épistémologique l'est toujours (c'est la distance c'est à dire la différence qui sont la condition de l'identité langage-forme). Question : comment fusionner. On peut noter que 'l'écrasement sans distance du pathos' accusé d'empêcher le discours philosophique d'être discours philosophique est une autre formulation du comment fusionner, c'est à dire comment avancer sans demeurer en torpeur.

Pour cela, je considère que la reconstruction est l'altérité qui co-naît avec moi. L'intropathie n'est plus sourde, car elle réverbère sous témoin. Ce témoin, c'est ce qui est reconstruit.

Deuxième point épistémologique (la "reconstruction c'est physique") : ce qui est reconstruit est reconstruit sur un support capable d'assumer une dynamique de formes, de changement, d'interaction : c'est la simulation (= 'in silico'). In silico, c'est par ex. pour distinguer de 'in vivo', c'est à dire ce qui se passe dans un organisme biologique vivant. L'une des (hypo)thèses fondamentales de la simulation est que la dynamique des formes simulées peut être isomorphe à la dynamique des formes qui identifie un milieu-corps-vivant (par ex. on peut déjà simuler une gravité newtonienne, les collisions, la lumière, etc.). Par conséquent, on s'interroge sans arrêt sur ce qui est nécessaire et suffisant à la survie de ce qui est reconstruit, et en premier lieu, l'affectivité.

foutre de a écrit:
Pour moi, la question "qu'est-ce que l'affectivité ?" ne se pose pas [..]

Donc, qu'est-ce que l'affectivité. L'altérité que je reconstruis n'est telle que parce qu'elle est affective. Il nous faut élucider la structure de l'affectivité pour la reconstruire. Tu dis que la question "qu'est-ce que l'affectivité ?" ne se pose pas. C'est intéressant. Je répondrais que cela fait partie du problème méthodologique ou plutôt de la non-méthode.

Maintenant, le travail que j'appelle et qui reste à faire exige pourtant de capturer la structure de l'affectivité. Plus haut j'ai pris l'exemple de l'avion comme exemple de reconstruction-compréhension. Dans cet exemple, il était question d'imagination. La phénoménologie matérielle dit que l'imagination peut échouer 'devant' (si on peut dire) l'affectivité. Cela est fâcheux. Mais alors —c'était mon interrogation sur le travail de M. Henry—, qu'est-ce que la structure de l'affectivité. Le point est que je n'exclus pas que la réponse ne soit pas prédicative, mais méthodologique, c'est à dire, la structure de l'affectivité est la succession de gestes que je fais lorsque je reconstruis une affectivité. C'est une intropathie comparée.

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foutre de a écrit:
Dans la mesure où une esthétique qui vise autre chose que la disposition d'oeuvres dans des musées implique de repenser l'ensemble d'un habiter (d'un vivre), l'europanalyse se veut une théorie de l'invention, dont elle explore la méthode, qui est zigzag. [...] C'est pourquoi nos représentations ne doivent pas nous arrêter mais nous conduire au contraire vers des gestes qui seront bientôt des moeurs pour s'ancrer plus dans l'orientation risquée d'un demain pour l'humain.

Tout ce que tu observes à propos de la civilisation et du corps s'applique à la reconstruction. Par exemple tu as écrit, "ce qui est à faire quand on se fait un corps, c'est une civilisation". Je suis pleinement d'accord. Prenons ta formule à la lettre, et reconstruisons un corps et une civilisation. Cela peut paraître démesuré, et en effet ça l'est. Mais comme ce sera le début d'une civilisation et l'amorce d'un corps, la reconstruction aura le temps de voir venir, et nos premiers gestes en seront encore à la lutte de la nuit des temps.



Message Ache Moderator le 26 Mai 2007 23:51

foutre de
29-04-2007


Ache a écrit:
L'intropathie n'est plus sourde, car elle réverbère sous témoin.

[A l'adresse d'une tierce personne] C'est plus simple à entendre que ça n'en a l'air. Tout est question de vocabulaire, donc de lecture. Et selon l'expression de Wittgenstein, il ne faut pas fonder sur le signe et l'énoncé, leur usage (projet Tractatus) ; parce que c'est l'usage, le(s) jeu(x) de langage(s), qui les fondent (projet Investigations Philosophiques).
*** Pas un Hasard si Wittgenstein refuse de les publier séparément : les résultats de l'expérience méthodique Tractatus sont dans les Investigations. Voir le très bon livres de Nicolet, Lire Wittgenstein, chez Aubier. Qui me fait le même effet que le Deleuze sur Kant aux PUF.

Donc il suffit de reprendre le vocabulaire dont la praxis, l'usage, est la lecture. Je reprends la lecture :

On peut se contenter de la variation paradygmatique des termes, par voie de presque synonymie.

L'intropathie, c'est l'affect qui est réceptivité de soi-même, action de s'éprouver, ipséité passive, sensation du monde comme cohérence éprouvé en soi-même, pas à l'intérieur psychologique de soi, mais dans l'unité de sa chair, dans son corps. L'intropathie c'est la sensation mystique comme pathos interne, comme pulsion se manifestant de son propre gonflement indivisible à même elle-même, comme poussée du réel, croissance de la vie qui s'offre à elle-même de s'éprouver croissance.

D'aucun, tu en es [toujours à l'adresse d'une tierce personne], et tu cites Hegel pour appuyer tes paroles, disent que la mystique ne peut que se taire (Wittgenstein aboutit là dans l'expérience Tractatus, c'est pourquoi il doit la replacer dans une lecture plus globale qui interprète les limitations que le Tractatus produit comme lois de la parole.). Donc ne peut que ne jamais être audible.

Or la mystique propose une entente-Une du réel, indicible parce que vide d'objets (Hegel a raison, mais seulement si le discours est fondé en objets, c'est-à-dire en concept-par-opposition-dialectique ; ce que Wittgenstein vient repousser parce que le discours est fondé en usage, usage littéraire en particulier - comme Kierkegaard l'a aussi compris et exercé). Si l'entente est une, si le réel est mystique, il ne peut y avoir mutité sans surdité ; le réel n'est pas muet devant quelqu'un qui aurait des oreilles (la raison) et auxquelles la mystique ferait faute de ne pas s'adresser. Si le réel, comme mystique, comme épreuve interne pathique (plutôt que pathétique), est un, alors la mystique, si elle est muette, est aussi bien sourde.

Quand Ache dit "l'intropathie n'est plus sourde", il ne dit rien d'autre que : "la mystique n'est pas muette".

Il tente alors d'exprimer la nature de cette réponse. Elle n'est plus muette, inaudible, sourde, parce qu'elle "réverbère". Le mot est simple, il y a une résonance et c'est par cette résonance que l'intropathie est audible.

De quelle nature est-cette résonance, sinon affective, vibration de la sémantique du monde dans ma chair propre ?
(depuis Shopenhauer, cette chair affective, pensée comme Volonté dans la pensée allemande, est liée à la vibration, la rythmique, la pulsation, l'ondulatoire et rapportée de manière privilégiée à la musique chez lui, à la danse chez Nietzsche)

Cette réverbération, c'est cette fusion qu'il évoque comme résorbant, par reconstruction (compréhension) la distance entre épistémologie et phénoménologie. C'est à dire qu'il y aurait reconstruction conjointe, l'une vibrant de l'autre, l'un naissant de l'autre, dans ce qui est désigné comme reconstruction = altérité qui con-naît avec moi.

Cette structure est spécifiquement une structure différentialiste, de deux-en-un ; le "en-un" fondant le voisinage de la reconstruction.

Si l'intropathie réverbère sous témoin, si la mystique se donne à entendre, c'est parce qu'il y a reconstruction qui est co-naissance de l'autre avec moi. Il y a co-intropathie de l'un dans l'autre dans l'acte même où nos activités nous distinguent l'un par rapport à l'autre, l'un de l'autre.

Ainsi, "l'intropathie n'est plus sourde, car elle réverbère sous témoin" n'est qu'un énoncé rassemblant la problématique et la proposition de réponse qui lui précédait.

Il s'agit juste d'un problème de terminologie pour identifier la problématique sous les concepts utilisés, c'est-à-dire sentir l'enjeu de l'énoncé à travers la question que nous sommes mais sous des formulations qui ne sont pas les nôtres.

Eh bien sûr, cette différence de formulation implique des différences de valeurs. C'est pourquoi varier le concept sur la problématique permet de la faire circuler d'une sémantique à une autre, de relayer des questions.

Par exemple pour moi, quand :

Ache a écrit:
L'idéal épistémologique de l'accomplissement du langage est la coïncidence entre le langage et la forme. Le langage réussit lorsqu'il est capable de faire revenir la forme, et notamment, lorsque langage et forme peuvent s'identifier sur commande. Le langage est langage parce que dans un domaine d'implémentation particulier il peut instancier une forme quelconque.

C'est une terminologie qui implique le Sens sous le concept de Forme, d'Eidos à véhiculer sous langage. Et l'épistémologie y est pensée comme praxis, et non seulement comme discours sur x, parce qu'en tant que théorie de la théorie, elle est pratique de la théorie, autant dire pratique d'elle-même : c'est son point d'identité avec la méthode phénoménologique, leur rencontre.

Quand il y a époché et rétroréférence, il y a phénoménologie. L'épistémologie (la logique aussi bien depuis Wittgenstein) est l'époché et la rétroréférence du dire, la phénoménologie du discours. Cette identité, l'europanalyse dit qu'elle est crise, en-crise, parce que "époché de soi-même à même soi". distance comme identité, coupure comme chair, altérisation comme naissance : analyse.

Quand :

Ache a écrit:
Ici commence le travail. Autrement dit le raccord est exigible, mais la forme exacte du raccord reste à construire, et la capacité du langage à réussir le raccord n'est pas donnée. Cela signifie qu'il faut imaginer Wittgenstein lire Merleau-Ponty.


Il a fait exactement le portrait du projet de Valdinoci, que le Science de la logique rencontre une phénoménologie de la perception. Mais ici d'après moi les chemins bifurquent. Et c'est la reconnaissance des flux de la problématique sous les concepts échangés par les décisions de vocabulaire (à relativiser donc) qui permet de l'apercevoir.

Ache a écrit:
comprendre une proposition phénoménologique, c'est savoir ce qui advient si elle est vraie. Il n'est pas nécessaire de savoir si elle est vraie ou fausse, car à la limite, ce n'est pas la question. La question est : qu'advient-t-il si elle vraie (c'est une 'promesse'). Or qu'avons-nous pour savoir ce qui advient et ce qui tient sa promesse ? Nous avons l'expérience


Pour éclairer ma lecture de ce passage, il me faut penser une vieille question :

Qu'est-ce qu'un philosophe ? (ou peut-être mieux, "un penseur")
On sent le glissement humain qui s'opère depuis le mode d'interrogation du dernier Deleuze ; c'est le changement d'époque.

Le philosophe est celui qui garantit la vérité des énoncés, dont c'est la fonction.
Or pour exercer cette fonction qui est une fonction sociale (l'homme dont la tâche est de savoir comment valider), il y avait anciennement le système, qui donne une méthode de totalité, qui relaie ce dépassement du philosophe (sa finitude) par la somme des savoirs (aucun homme ne peut plus connaître toutes les disciplines depuis la Renaissance, depuis la fin de l'humanisme et des dernières Sommes ; alors Hegel tente un sauvetage de cette capacité par validation au moyen d'une forme fonctionnelle (la dialectique) qui totalise l'esprit).
Malheureusement, puisqu'il ne perçoit le réel que comme logique, et que le logos est condamné à être de l'ordre du fragmenté (Nietzsche, Wittgenstein, Blanchot, Laruelle), la cohérence doit venir d'ailleurs que des énoncés.

Par quoi un philosophe peut-il garantir la validité d'un énoncé, si ce n'est par un autre énoncé ? Par la pratique.
C'est à dire par la réponse dans sa vie de l'énoncé (répondre de), par la pratique, par l'accomplissement de la promesse. Les énoncés, éparpillés, fragmentés les uns par rapport aux autres, de manière irréductible, ne sont cohérents que parce qu'un homme les vit, les accomplit comme vrais à travers les gestes de sa chair, la vie comme unité de cohérence d'un énoncé.

Pour Ache, vraisemblablement, valider, c'est reconstruire, c'est-à-dire refaire dans l'expérience, dans sa propre chair :

Ache a écrit:
Si je veux comprendre comment un avion vole, je dois reconstruire l'avion. [...], c'est à dire savoir comment l'avion vole, [...] je commencerai à identifier la 'forme du vol'. On peut d'abord faire cela en l'imaginant, mais [...] on doit continuer sur le terrain.

C'est une dure loi du logos qu'il doive se valider (c'est-à-dire donner l'eidos, la forme, l'essence, la vérité, le Sens = pour moi LA CIVILISATION, le collectif sémantique) dans la chair des hommes, de certains, dans la chair des philosophes (c'est pourquoi il me semble que certains énoncés philosophiques ne conviennent qu'en vue d'un individu qui veut devenir philosophe, et d'autres qui peuvent être d'usage pour les autres humains qui ne s'identifieront pas au parcours de celui qui validera ; ce n'est pas une histoire de caste, etc. ; c'est l'idée qu'il n'y a que Platon pour penser que la démocratie c'est l'être-philosophe de tous et chacun).

Ache a écrit:
Reconstruire a un sens presque évident. C'est une heuristique de bricoleur. La reconstruction est synonyme d'élucidation
.
D'où qu'un penseur doivent être polytechnicien au sens étymologique du terme, comme Thalès en a laissé le témoignage brillamment oléagineux et pas uniquement un producteur d'énoncés

Si Ache a écrit :

Ache a écrit:
Si on dit reconstruire _ _ _ _, on dit 'comment dois-je m'y prendre pour créer _ _ _ '. Et donc, sur le terrain. [...] Ici, je suis tenté de traduire tout cela en nommant des disciplines comme la vie artificielle, l'intelligence artificielle et les sciences cognitives, lesquelles ont la reconstruction pour objectif, car c'est cela la reconstruction, et c'est cela la littéralité.

On est bien dans le domaine de l'invention, donc du geste "esthétique" mais en un sens peu décoratif, peu artiste, en tout cas, peu du domaine de ce qu'on appelle les arts plastiques uniquement, comme la tradition retient toujours sous ce mot d'esthétique (mais je l'ai dit à propos de la littérature post-moderne, les arts ont attendu la décapitation du roi pour entrer en fonction Moderne, ce qui invalide les définitions du mots esthétiques quasi jusqu'à Hegel ou le romantisme d'Iena).

Ache a écrit:
Mais, en nommant ces domaines, on pourrait aboutir à des malentendus : d'abord parce que la discipline reconstructrice n'existe pas encore, et donc le champ imaginaire que provoquent les disciplines nommées dépendra du parcours de chacun et de la confiance ou pas qu'on leur prête (autrement dit c'est une polémique)

C'est là justement que l'europanalyse intervient. Elle se veut méthodologie de l'invention selon une autre méthode que celles de ces disciplines, et se propose d'avancer une discipline de reconstruction qui soit mystique d'invention. Cette histoire de confiance est vraiment ce qui revient pour valider les énoncés : le philosophe doit trouver la méthode pour être un homme de confiance, c'est-à-dire être l'épreuve vivante de la vérité d'un énoncé (c'est énoncé est-il vivable ?)

C'est pourquoi la psychanalyse nous aide énormément car le fondement de l'ordre du vrai est un transfert sur la chair de qui invente la civilisation dans sa chair : saura-t-il incarner ce qu'il énonce ?

Cette incarnation est la problématique monastique, c'est-à-dire, comment incarner la vérité humaine du Christ, de Bouddha, de la Merveille dans sa vie exercée ?
Tout énoncé doit être mis à l'épreuve, éprouvé dans une vie , c'est la fonction du penseur : incarner l'audace d'un énoncé, y fonder le sens, la distinction, s'y faire naître conjointement à y faire naitre un autre, inventer la civilisation en acte, faire essai d'une existence pour en vérifier les énoncés, se faire garant qu'une valeur est encore une possibilité de vie.

[parenthèses : je me souviens d'une étudiante dubitative devant le discours de Valdinoci qui disait : "la mystique c'est facile : chacun met ce qu'il veut dedans".
Pour moi, ça signifiait que "mettre ce qu'on voulait", c'était facile ; qu'agir sans énoncé garantissant la validité d'un acte, c'était facile ; bref qu'être libre, que la pensée d'un professeur nous laisse la place pour oser sans l'appui de son système et que ce manque d'appui, cette nuit devant le lecteur qui attend la prescription, soit dans le système même comme une place-pour, c'était facile. Or je crois justement que la liberté n'est pas facile, la nuit n'est pas facile. Mais cette difficulté n'est partagée que par qui fait le pas de venir valider seul, dans sa solitude ordinaire, et pas comme un savant virtuose des énoncés-prescriptions]

Parce que cette épreuve est risquée, nous avons la littérature, comme production de variations autour de "comme si c'était vrai (en tant qu'énoncé)", pour voir jusqu'où miser ; moins pour répondre à "Que faire?" ou "comment faire?" que pour essayer des "jusqu'où un homme peut-il valider?" : la littérature est une zone expérimentale pour les énoncés de civilisation (d'où sa familiarité avec l'héroïsme qu'a relevé baptiste R). Elle avance des fantasmes de civilisation à valider (comprendre des fantasmes de vie à vivre). D'où un caractère, sinon toujours utopique de toute littérature, du moins son caractère expérimental : elle incarne les jeux de langage (l'OULIPO est un exemple typique) et nous jouons à évoquer ce que serait leur validité dans nos chairs (jusqu'à quelle promesse un homme peut-il tenir ? ....peut-être une mesure de puissance de type nietzschéen).

Si la question se pose de :

Ache a écrit:
Qu'est-ce que la structure de l'affectivité. Le point est que je n'exclus pas que la réponse ne soit pas prédicative, mais méthodologique, c'est à dire, la structure de l'affectivité est la succession de gestes que je fais lorsque je reconstruis une affectivité.

Ce qu'on voit c'est qu'il y a cercle tautologique (= la structure de l'affectivité c'est le faire affectivité) : pas de doute, c'est le symptôme que l'immanence se ramène là comme exigence. S'il y a un "faire affectivité" (un se faire un corps), la structure est bien une structure inventive. Mais elle s'annonce comme non-prédicative - donc pas de reconstruction cognitiviste. Cela je crois à cause de l'unilatéralité : la reconstruction qui fonde l'épistémologie est une activité de création, mais la création n'est pas prédicative même si elle est invention de prédications. x s'identifie à y qui se distingue de x.

L'europanalyse propose un dire alternatif qui se désigne comme "encyclopédie" (reconstruction du Savoir-Civilisation-Archisémantème) et tente de repenser le livre dans la problématique affective de l'invention (l'angoisse, etc. voir Anzieu, le corps de l'oeuvre), de dégager une structure de l'invention à partir d'une identification de "sentis" (d" épreuves" au sens de... éprouver :-D ), sensation de l'enfoncement analytique en soi qui est invention dans sa propre chair, validation d'homme neuf.

Ce "senti" (cette "esthesis") est décrit(e) à partir des étapes médicales de la perception de soi (proprioception, xénoception, nociception etc.) et articulé(e) sous structure d'un zigzag (entre réductions et donations, entre fondements et effondrements surtout).

Là où je pense ça achoppe, ça diverge avec le projet décrit par Ache, c'est qu'il ne s'agit pas de simulation.
La simulation, c'est le plan de vitesse de la conscience ; un plan de vitesse très rapide parce que très superficiel, sorte de "paillasse" de la salle de bio. Dès qu'on parle de civilisation, c'est comme passer à la production d'ogm, c'est entamer une phase de contamination, contamination par co-naissance. c'est la phase de la pédagogie et de la mystique, parce que c'est en plusieurs sens celle de l'inconnu.

Contaminer c'est transmettre un énoncé à valider dans la chair d'un autre, le laisser se valider sans plus pouvoir le renier, lui confier l'autonomie d'une autre chair que la sienne (celle du moi de la conscience-terrain préliminaire rapide). La validation doit continuer loin de mes regard désormais, dans une première nuit d'ignorance (cet énoncé est-il encore vrai pour un des hommes qui vivent à part moi ?)

C'est donc également mystique parce qu'on accepte, sortant du champ prédicatif, de se laisser désormais prendre passivement par l'énoncé, par sa validité. Elle devient passive, déterminante et non plus en évaluation préparatoire par la conscience, dans le dialogue. On ne parle plus, on exerce.

C'est la vie éduquée-éducative du moine, du solitaire de la montagne, de Z. ; celui qui énonce une discipline, se l'impose, la propose à d'autres comme ses disciples, l'offre à qui demande une méthode : un chemin de validation.


Et comme je l'ai dit auparavant, ce plan de civilisation est un ralentissement et un approfondissement par rapport au plan de conscience, mais il n'est que l'avant-veille du faire corps, qui est un faire-nature.

Ce passage est une histoire de sacrifice et de soumission, de pari aussi et donc d'effroi.

Mais parce que c'est une avant-veille, l'énoncé qui dit :

Ache a écrit:
Mais comme ce sera le début d'une civilisation et l'amorce d'un corps, la reconstruction aura le temps de voir venir, et nos premiers gestes en seront encore à la lutte de la nuit des temps.

est un énoncé gracieux, très suave, peut-être plus lumineux que celui qui dit que l'intropathie n'est plus sourde, parce que plein de l'humilité de la promesse en train de se tenir.
Je ne le reformulerais (reconstruirais) que sur un point (ce sera la version "europanalysée" de l'énoncé, soit : sans distance d'objet ni de représentation reconstruite) :

Citer:
Comme ce sera le début d'une civilisation et l'amorce d'un corps, les générations auront le temps de voir venir, et nos premiers gestes en seront encore à la lutte de la nuit des temps.

Rien de plus aimable qu'un homme qui se pense comme déjà mort, la grâce même d'où naît un geste d'avant l'aube.




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