Salutations,
Je découvre avec plaisir l'ouverture de ce site et de son forum pleins de promesse (la réédition du trip spéculatif sur les solutions aux problèmes de la mort de l'univers m'a mis en appétit).
Comme je m'en voudrais d'arriver les mains vides et comme il semble que le créateur de ces lieux a quelque goût pour Leibniz, je me permets de vous proposer ces quelques lignes. Elles ne sont pas précisement d'ordre scientifique mais je les trouve curieuses et dignes de lecture.
Voici :
"Quand je considère combien nous avons de belles découvertes, combien de méditations solides et importantes, et combien se trouvent d’esprits excellents qui ne manquent pas d’ardeur pour la recherche de la vérité, je me dis que nous sommes en état d’aller plus loin, et que les affaires du genre humain, quant aux sciences, pourraient en peu de temps sublimement changer de face. Mais quand je vois, par ailleurs, le peu de concert des desseins, les routes opposées que l’on suit, l’animosité que les uns font paraître contre les autres, qu’on songe plutôt à détruire qu’à bâtir, à arrêter son compagnon qu’à avancer de compagnie, j’appréhende que nous ne soyons pour demeurer dans la confusion et dans l’indigence où nous sommes par notre faute. Je crains même qu’après avoir inutilement épuisé la curiosité sans tirer de ces recherches aucun profit considérable pour notre félicité, on ne se dégoûte des sciences, et que les hommes par un désespoir fatal, ne retombent dans la barbarie. À quoi cette horrible masse de livres, qui va toujours en s’augmentant, pourrait contribuer beaucoup : car enfin le désordre se rendra presque insurmontable.
La multitude des auteurs, qui deviendra infinie en peu de temps, les exposera tous ensemble au danger d’un oubli général. L’espérance de la gloire, qui anime bien des gens dans le travail des études cessera tout d’un coup. Il sera peut-être aussi honteux d’être auteur que cela était honorable autrefois. Tout au plus s’amusera-t-on à des livres horaires qui auront peut-être quelques années de cours et serviront à divertir pendant quelques moments un lecteur qui veut se désennuyer, mais qu’on aura faits sans aucun dessein d’avancer nos connaissances ou de mériter le goût de la postérité. On me dira qu’il y a tant de gens qui écrivent qu’il n’est pas possible que tous leurs ouvrages soient conservés. Je l’avoue, et je ne désapprouve pas ces petits livres à la mode, qui sont comme les fleurs d’un printemps ou les fruits d’un automne qui ont de la peine à passer l’année. S’ils sont bien faits, ils font l’effet d’une conversation utile : ils ne plaisent pas seulement, ils empêchent les oisifs de mal faire, et servent encore à former l’esprit et le langage. Cependant, il me semble qu’il vaut mieux pour le public bâtir une maison, défricher un champ, ou au moins planter quelque arbre fruitier ou d’usage, que de cueillir quelques fleurs ou quelques fruits. Ces divertissements sont louables, bien loin d’être défendus; mais il ne faut pas négliger ce qui est plus important. On est responsable de son talent à Dieu et à la république."
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