LokiLeFourbe a écrit:
plus on avance dans la connaissance scientifique de l'univers [..] plus on en apprend qu'une perfection, un but, une intelligence, derrière tout ceci ne pourrait être écartée?
Comme le dit justement Ache, lorsque les interrogations sont encore "en cours d'incubation" on peut essayer de distiller le sujet par exemple en postant dans le fil des
questions pressantes et noeuds gordiens du moment.
La question de la perfection se pose tout d'abord dans les termes inverses, c'est à dire, la perfection dans la réalité même (réalité qui peut s'entendre comme l'ensemble de toutes les routes que l'on peut parcourir). Si l'on commence à considérer la perfection dans la réalité, on n'arrêtera jamais d'en trouver de plus profonde dans la réalité même, car celle-ci est
inépuisable, et on peut attribuer à la perfection
dans la réalité tous les attributs que l'on pourrait être tenté de reconduire en dehors de la réalité. Il n'y a pas en cela de nécessité de trouver une cause externe qui justifierait l'ordre interne à l'univers. Pour ces raisons, la substitution de la connaissance épistemique par la croyance réligieuse, l'abandon de la route lorsqu'on vient à peine de franchir le premier tournant, doit être considéré un
symptome de folie.
Ceci n'est cependant pas un argument contre la réligion, mais un approfondissement de son domaine propre. Le domaine propre à la religion est inattaquable, et peu de critiques positivistes de la réligion (Russell, Dawkins, etc) l'abordent, car il ne s'attaquent qu'au symptome précédent, pour en exorciser les effets - comme dans un rituel thérapeutique, qui n'a d'utilité que pour celui qui souffre de la dite folie, et qui est autrement vide de tout contenu.
Le domaine de la réligion est celui où on n'entend plus caractériser telle ou telle route, leurs qualités, ou leur ordre, ou leur cause. Le langage rentre d'ailleurs nécessairement dans une modalité métaphorique, pour symboliser le fait que l'on se situe au délà de toute spécificité, car on se refère à ce qui est totalement
inexpliquable. Le sentiment réligieux devient l'expression de la conscience d'une
ignorance irréductible, c'est à dire, il se manifeste par la considération soudaine de la réalité comme une pointe d'iceberg, où la partie submergée, à la quelle nous sommes re-liés, est bien plus qu'une réalité encore inconnue ou inaccessible : elle
n'est pas la réalité et ne peut pas être pensée (par personne et par rien). Elle est plus qu'inconnue : il n'y a aucun sens à vouloir envisager de la connaître et de la penser ou d'en lister les attributs.
En cela la compréhension profonde du réel par la science ne modifie pas le propre du religieux (qui procède d'un sentiment d'ignorance irréductible et se situe en dehors de toute connaissance épistemique) mais peut aider à prendre conscience d'un "bord épistemique". Le sentiment réligieux peut également s'exprimer à partir d'une situation épistemique (p. e. devant la foudre, l'ordre des astres, etc), mais il s'agit là d'une translation, qui ne contredit pas la connaissance épistemique. Ainsi le dogme ne saurait en aucun cas s'opposer à la vérité de l'expérience. Si le domaine réligieux peut se produire improprement en tant que manifestation de l'ignorance, il ne concerne proprement que l'ignorance de ce qui n'est pas une route et qui donc ne pourra pas être parcouru par la science ou par l'expérience, et se produit proprement en l'expérience d'une tension fondamentale entre le dicible et l'indicible.